19/11/2010
Arithmétique des polynômes
Arithmétique des polynômes
Il s'agit de répéter pour les polynômes des résultats similaires à ceux qui ont été énoncés pour les entiers.
Premier point à observer : l'arithmétique sur les polynômes est tout à fait analogue à celle sur les entiers à condition de travailler sur des polynômes sur un corps commutatif. Sur un anneau commutatif quelconque (même intègre) se glissent quelques bizarreries.
Second point à observer : les énoncés donnés sur les entiers l'ont été sur des entiers positifs. Ils se modifient sans trop de mal pour des entiers de mais parfois en s'alourdissant un peu ; ainsi dans
on ne peut plus affirmer l'existence d'un entier
unique tel que
divise
et
si et seulement si
divise
(le pgcd de
et
) : il en existe toujours un, mais il n'est plus unique, on peut prendre
mais aussi
. Les polynômes unitaires joueront un rôle analogue aux entiers positifs mais ils sont légèrement moins confortables, dans la mesure où la somme de deux entiers positifs est positive alors que la somme de deux polynômes unitaires n'est pas nécessairement unitaire. Attention à ces petits détails donc, en apprenant les énoncés.
Commençons par donner une définition, à partir de laquelle on ne montrera guère de théorèmes que dans mais que ça ne coûte pas plus cher de donner sur un anneau commutatif quelconque.


![$ A[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img71.gif)

![$ A[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img71.gif)



![$ A[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img71.gif)

Comme pour les entiers, tout repose sur la division euclidienne.


![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)

![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)


Démonstration : On prouvera successivement l'existence et l'unicité de .
Existence de
La preuve est significativement différente de celle utilisée pour les entiers. Elle est toujours basée sur une maximisation/minimisation, mais les polynômes n'étant pas totalement ordonnés, cette maximisation est un peu plus technique.
Dans le cas stupide où divise
, prenons
et
tel que
. Sinon, considérons l'ensemble
![$displaystyle {mathcal R}={A-QB mid Qinmathbb{K}[X]}, $](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img159.gif)
qui est donc un ensemble non vide de polynômes non nuls ; puis l'ensemble

qui est un ensemble d'entiers positifs non vide. Cet ensemble







Nous devons vérifier que ces choix conviennent ; l'identité entre ,
,
et
est claire, reste l'inégalité concernant les degrés. Vérifions-la par l'absurde, en supposant que
; notons
le degré de
et

Posons

Remarquons qu'en écrivant cette définition, on utilise l'hypothèse



Considérons alors

donc

Dans cette dernière écriture, on voit se simplifier les termes en







Unicité de
Soient et
deux couples vérifiant les deux conditions exigées dans l'énoncé du théorème.
On déduit de que
. Ainsi,
est un multiple de
. Des conditions
et
, on déduit que
.
Ainsi est un multiple de
de degré strictement plus petit. La seule possibilité est que
soit nul. On en déduit
, puis, en allant reprendre l'égalité
, que
.
Remarque : On a choisi d'énoncer ce théorème sur un corps commutatif pour faciliter sa mémorisation et parce que l'on n'aura presque jamais besoin d'un énoncé plus général. On aura toutefois besoin une fois de l'utiliser pour des polynômes sur un anneau ; remarquons donc que la démonstration montre que le résultat reste vrai sur un anneau commutatif quelconque à condition de supposer non seulement que est non nul, mais même que son coefficient dominant est inversible : le seul endroit où on a utilisé qu'on s'était placé dans un corps commutatif a en effet été une division par ce coefficient dominant.



Ce qui fournit la division euclidienne :

Nous définissons ensuite le pgcd. On ne donnera pas ici d'énoncés concernant le , non qu'il n'y en ait pas (ce sont là aussi les mêmes qu'en arithmétique des entiers) mais parce qu'ils ne semblent pas très importants. Les étudiants curieux les reconstitueront eux-mêmes.



![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)

![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)

![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)





De plus il existe deux polynômes et
de
tels que
(identité de Bézout).
Et tant qu'on y est avant de passer aux démonstrations :






Comme pour les entiers, plusieurs démonstrations sont possibles ; on ne donne que celle basée sur l'algorithme d'Euclide.
Démonstration : La démonstration est une récurrence sur le degré de .
Merveilles du copier-coller, voici de nouveau un «résumé de la preuve» sous forme de programme informatique récursif (le même que pour l'arithmétique des entiers) :
Début du programme
* Pour ,
coefficient dominant de
.
* Soit le reste de la division euclidienne de
par
.
Les diviseurs communs de et
sont ceux de
et
.
D'où : .
Fin du programme
Et voici, toujours par les vertus du copier-coller, la preuve récurrente formelle. On va démontrer par «récurrence forte» sur le degré de
l'hypothèse
suivante :
Pour tout polynôme
et tout polynôme
de degré
, il existe deux polynômes
et
tels que, pour tout polynôme
,
divise
et
si et seulement si
divise
.
Vérifions .
Il s'agit donc de traiter le cas où . Soit
un polynôme ; tout polynôme
qui divise
divise aussi
puisque
. Pour tout
,
divise
et 0 si et seulement si
divise
. Prenons alors
et
: on a donc bien pour tout
:
divise
et 0 si et seulement si
divise
.
Soit un entier fixé. Supposons la propriété
vraie pour tout
strictement inférieur à
et montrons
.
Soient un polynôme et
un polynôme de degré
. Notons
la division euclidienne de
par
(qu'on peut réaliser puisque
).
Vérifions l'affirmation intermédiaire suivante : pour tout ,
est un diviseur commun de
et
si et seulement si
est un diviseur commun de
et
. (Avec des mots peut-être plus lisibles : «les diviseurs communs de
et
sont les mêmes que ceux de
et
»).
Soit un diviseur commun de
et
, alors
divise aussi
; réciproquement soit
un diviseur commun de
et
, alors
divise aussi
.
L'affirmation intermédiaire est donc démontrée.
On peut alors appliquer l'hypothèse de récurrence (puisque précisément
) en l'appliquant au polynôme
.
On en déduit qu'il existe deux polynômes et
tels que pour tout
,
divise
et
si et seulement si
divise
.
Remarquons enfin que , et qu'ainsi, si on pose
et
on a bien prouvé que, pour tout
,
divise
et
si et seulement si
divise
.
est donc démontrée.
On a donc bien prouvé pour tout
.
Une fois qu'on en est arrivé là, il ne reste donc plus qu'à montrer que pour un polynôme (le polynôme
) il existe un unique
unitaire tel que
divise
si et seulement si
divise
. L'existence est claire : comme le résumé le suggère, on divise
par son coefficient dominant et on obtient un polynôme
unitaire ayant les mêmes diviseurs que
. Pour ce qui est de l'unicité, elle est évidente pour
nul ; on supposera
non nul. Soit maintenant
un polynôme unitaire ayant exactement les mêmes diviseurs que
. Alors comme
divise
,
divise
, et comme
divise
,
divise
. Les polynômes
et
se divisent donc mutuellement ; soit
et
les quotients respectifs de
par
et de
par
. En utilisant la formule calculant le degré d'un produit, on voit que forcément,
a même degré que
et que les polynômes
et
sont de degré nul, donc des constantes
et
. Soit
le coefficient dominant de
; le coefficient dominant de
vaut
donc
et
est égal à
(coefficient dominant de
), donc à
, ce qui prouve l'unicité.
Nous allons ensuite définir le pgcd d'un nombre fini de polynômes. En arithmétique des entiers, cette notion n'est pas primordiale ; en revanche dans les applications des raisonnements arithmétiques à des polynômes, on est souvent dans des cas où on s'intéresse à des pgcds de plus de deux polynômes à la fois.
L'énoncé donné ci-dessus pour deux polynômes se généralise à un nombre fini, par récurrence sur ce nombre.





![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)

![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)

![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)






De plus il existe polynômes
tels que

(identité de Bézout).
Démonstration : C'est une récurrence facile sur . Le cas
est l'objet du théorème précédent (et le cas
a été traité dans sa démonstration, ou on peut le ramener fictivement à
en disant que les diviseurs de
sont les diviseurs communs de
et de 0 ).
Soit fixé, supposons la proposition vraie pour tout ensemble de
polynômes. Prenons
polynômes
. Notons
le pgcd des
premiers, qui existe par l'hypothèse de récurrence. Alors les diviseurs communs de
,
,
,
sont les diviseurs communs de
et de
; donc prendre
répond à la question. L'unicité est claire : si
répondait aussi à la question, les diviseurs de
seraient exactement les mêmes que ceux de
avec
et
tous deux unitaires, et comme dans la preuve du théorème précédent (ou en appliquant le théorème précédent à
et 0 ), on conclut que
. La relation de Bézout est aussi le résultat d'une récurrence immédiate : il existe
tels que
et
et
tels que
donc





![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)


On prendra garde à ne pas confondre «premiers entre eux» (on dit parfois «premiers entre eux dans leur ensemble») et «deux à deux premiers entre eux» : dans , les polynômes

sont premiers entre eux (dans leur ensemble) mais ils ne sont pas deux à deux premiers entre eux.
Les polynômes irréductibles sont les analogues des nombres premiers. Toutefois les usages étant ce qu'ils sont, il y a une petite nuance de vocabulaire un peu désagréable : alors que le mot «nombre premier» est réservé à des entiers positifs, le mot «polynôme irréductible» n'est pas réservé à des polynômes unitaires. On se méfiera de cette peu perceptible nuance qui crée de légères discordances entre énoncés analogues portant les uns sur les polynômes et les autres sur les entiers.


![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)
On remarquera tout de suite que ces deux diviseurs unitaires sont alors forcément les polynômes et
(coefficient dominant de
).
La proposition suivante est évidente, mais donne un exemple fondamental de polynômes irréductibles :

![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)
Démonstration : Soit avec
un polynôme du premier degré dans
. Cherchons ses diviseurs unitaires. Un diviseur de
doit avoir un degré inférieur ou égal à celui de
. Le seul diviseur unitaire constant de
est le seul polynôme constant unitaire : la constante
. Cherchons les diviseurs unitaires de la forme
de
. Si
divise
, il existe un polynôme
tel que
et en comparant les degrés,
est nécessairement constant. En comparant les coefficients dominants, nécessairement
donc
. Ainsi
possède exactement un diviseur unitaire du premier degré, le polynôme
. Le polynôme
est donc irréductible.
Sur un corps quelconque, déterminer quels polynômes sont irréductibles et lesquels ne le sont pas est un problème très sérieux ; dans quelques pages, nous verrons que ce problème a une solution simple dans les cas particuliers des polynômes à coefficients complexes ou réels.
Le résultat fondamental est, comme en arithmétique entière, l'existence et unicité de la décomposition en facteurs irréductibles. Elle repose là encore sur le «lemme de Gauss». On ne réécrit pas les démonstrations pour deux raisons totalement contradictoires : d'abord parce que ce sont exactement les mêmes, et ensuite parce que ce ne sont pas exactement les mêmes -une petite difficulté se pose pour énoncer l'unicité de la décomposition en facteurs irréductibles d'un polynôme. Pour des entiers, on a convenu de classer les facteurs dans l'ordre croissant : ainsi se décompose en
et non en
. Une telle convention ne peut être appliquée pour décomposer des polynômes, aucun ordre «raisonnable» n'étant à notre disposition sur l'ensemble des polynômes irréductibles ; ainsi dans
peut-on écrire selon la fantaisie du moment
ou
. Quand on énonce ci-dessous que la décomposition est «unique» on sous-entend donc qu'on considère les deux exemples qui précèdent comme la même décomposition, ce qui peut s'énoncer rigoureusement mais lourdement. Voulant glisser sur ce détail, on se condamne à rester un peu vaseux.
Voici donc le lemme de Gauss.




![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)





Démonstration : La même que pour les entiers, avec des majuscules.
Et voici le théorème de décomposition en facteurs irréductibles.

Tout polynôme

![$ mathbb{K}[X]$](http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/img127.gif)

dans lequel





Démonstration : À peu près la même que pour les entiers, avec un peu plus de soin pour l'unicité.


Source : http://ljk.imag.fr/membres/Bernard.Ycart/mel/pf/node4.html
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