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30/01/2010

Le triangle de Reuleaux

Le triangle de Reuleaux

Le 4 janvier 2010, par Serge Cantat

Chargé de Recherche à l'Université Rennes 1 (page web)

Le triangle de Reuleaux est une figure de géométrie plane élémentaire, mais intrigante, qui peut être présentée à des élèves de collège. Elle jouit de propriétés remarquables, qui sont parfois difficiles à établir et à généraliser.

Le triangle de Reuleaux

L’objet de ce mois-ci concerne la géométrie de certaines parties du plan. Commençons par la plus simple, le disque, représenté ci-dessous en jaune. Le diamètre du disque n’a pas d’importance dans ce qui suit, et nous choisirons nos unités de mesure pour qu’il soit égal à 1 Ce disque jaune est donc l’ensemble des points du plan situés à une distance du centre inférieure à 12 ; la courbe qui borde ce disque est un cercle de diamètre 1

La position exacte du centre n’a pas non plus d’importance pour la propriété suivante. Prenons deux droites parallèles qui ne coupent pas le disque et qui sont situées de part et d’autre du disque ; rapprochons-les de celui-ci, en les gardant toujours parallèles à la direction qu’elles avaient initialement, jusqu’à ce qu’elles viennent chacune toucher le disque en un point. L’écart entre les deux droites est alors égal au diamètre du disque, ceci quelques soient les droites initialement choisies. On dit que le disque et le cercle sont de largeur constante. Ce que nous allons voir, c’est qu’il existe beaucoup d’autres parties du plan de largeur constante.

Le premier exemple est le triangle de Reuleaux. Pour le définir, le plus simple est de partir d’un triangle équilatéral dont nous noterons A B etC les trois sommets. L’équilatéralité signifie que les distances AB BC et CA entre les sommets sont égales, et nous supposerons que cette distance entre sommets vaut 1 Ainsi, le cercle de centre A et de rayon 1 passe par les sommets B et C De même, le cercle de centre B et de rayon 1 passe par C et A et le cercle de centre C et de rayon 1 passe par A et B Traçons ces trois cercles. Ils bordent trois disques de rayon1 Le triangle de Reuleaux est l’intersection de ces trois disques ; ce n’est donc pas un triangle au sens usuel. Comme on le voit sur la figure présentée ci-dessous, le triangle de Reuleaux s’obtient en ajoutant trois lunules au triangle équilatéral ABC dont nous sommes partis.

Pour tracer un triangle de Reuleaux avec un compas, il n’est pas utile de suivre pas à pas la construction précédente. Écartez votre compas d’une unité, puis choisissez un point A dans le plan où vous plantez votre compas. Tracez un grand arc de cercle C1 Plantez alors votre compas en un point B situé sur cet arc C1 près de l’une des extrémités de celui-ci, et tracez maintenant un deuxième arc de cercle C2 en sorte que C2passe par A et vienne couper l’arc C1 en un point C Plantez maintenant votre compas au point C et tracer l’arc de cercle passant par A et BVous voyez surgir le triangle de Reuleaux. Si vous désirez faire apparaître le triangle équilatéral évoqué ci-dessus, il suffit de relier les sommetsA B et C avec une règle.

Les figures présentées ici ont été réalisées en suivant ce canevas à l’aide du matériel de CM1 de ma fille ainée.

Comme annoncé plus haut, la propriété remarquable du triangle de Reuleaux s’énonce ainsi : le triangle de Reuleaux est de largeur constante. En effet, lorsque deux droites parallèles viennent toucher le triangle de Reuleaux en se rapprochant de part et d’autre, l’une d’entre elles le touche en l’un des sommets A B ou C et la seconde le touche en un point de l’arc de cercle opposé ; ainsi, l’écart entre les deux droites est égal à 1 le rayon du cercle. Reformulons cette propriété : si l’on découpe un triangle de Reuleaux dans une plaque de granit et qu’on vient le serrer avec une clé anglaise, l’écart de la clé anglaise ne dépend pas de la position du triangle de Reuleaux. Autrement dit, une fois serrée, on peut tourner la pièce de granit sans changer l’écart de la clé et, ce faisant, la pièce reste en permanence en contact avec les bords de l’ustensile. Ou encore, si vous faites rouler le triangle de granit entre deux règles parallèles situées à une distance unité l’une de l’autre, le triangle de Reuleaux touchera en permanence le bord des deux règles.

Convexes de largeur constante

Nous voyons donc qu’il y a au moins deux parties du plan qui sont de largeur constante, le disque et le triangle de Reuleaux. Peut-on en construire d’autres ? La réponse est oui, mais avant de continuer il convient d’exclure certaines constructions sans intérêt. Si l’on évide un petit trou dans un triangle de Reuleaux ou dans un disque, on crée une nouvelle partie du plan dont la largeur est constante, mais pour la raison idiote qu’aucune modification n’a été effectuée au bord, là où la clé anglaise vient serrer la pièce de granit étudiée.

Avant de continuer nous allons donc introduire une définition utile. Nous dirons qu’une partie D du plan est convexe si elle satisfait la propriété suivante : quelque soit la paire de points A et B situés dans D la totalité du segment joignant A à B est contenue dans D

Le triangle de Reuleaux est convexe ; si on le perce, il ne l’est plus. D’autres exemples sont fournis sur la figure ci-contre. La partie jaune à gauche est convexe, tandis que la partie orange H en forme de haricot, ne l’est pas. La plus petite partie convexe qui contient H s’obtient en ajoutant la portion jaune bordée par H d’un côté et par un segment de l’autre ; la droite contenant ce segment vient toucher le bord de H en deux points distincts. Ce fait, à lui seul, montre que H ne peut pas être de largeur constante car si l’on serre H avec une clé anglaise dont un côté touche le bord de H en deux points, alors on ne peut plus tourner H sans agrandir l’écart de la clé.

Ainsi, lorsque D est une partie du plan de largeur constante alors, après avoir boucher les trous éventuels de D on obtient une partie convexe qui reste de largeur constante. De plus, le bord de cette partie ne contient aucun segment ; autrement dit, les droites parallèles qui viennent enserrer D de part et d’autre touchent chacune D en exactement un point.

L’étude des parties du plan de largeur constante se ramène donc à l’étude de celles qui sont convexes.

Pour les parties convexes du plan, on dispose d’une caractérisation moins poétique de de la propriété largeur constante à l’aide de plaques d’égouts. La forme d’une plaque d’égouts doit être telle qu’elle ne peut jamais tomber dans le trou qu’elle vient boucher. Si le trou a la forme d’un triangle de Reuleaux, d’un disque, ou de toute autre courbe de largeur constante, alors la plaque qui vient l’obstruer ne peut tomber : quel que soit l’orientation de la plaque, elle touchera les bords du trou sans pouvoir chuter sur la tête de l’ouvrier travaillant au fond. A l’inverse, la plaque verte ci-dessous n’est pas de largeur constante et, de fait, en tournant d’un quart de tour et en basculant, elle tomberait dans les égouts, son grand côté à la verticale et son petit côté à l’horizontal .

Il s’agit maintenant de construire de nouvelles parties convexes du plan qui sont de largeur constante, égale à 1 pour fixer les idées. Construire la partie ou la courbe qui l’encercle constituent le même problème. Nous chercherons donc à construire de telles courbes, et parlerons decourbes de largeur constante.

C’est encore le mécanicien Franz Reuleaux [1] qui nous apporte des exemples. On peut tout d’abord répéter une construction similaire en remplaçant le triangle équilatéral ABC utilisé ci-dessus par un polygone régulier ayant un nombre impair de côtés. Plutôt que de se livrer à un cours sur la construction de polygones réguliers, contentons nous de contempler un film délicieusement vintage.

On peut aussi reprendre la construction au compas que nous avons décrite en la généralisant au p’tit bonheur la chance. Pour cela on part d’un point A0 et l’on trace un petit arc de cercle C1 centré en A0 dont l’on note A1 et A2 les extrémités. On trace ensuite un arc de cercle centré en A1partant de A0 et s’approchant de A2 et un arc de cercle centré en A2 partant de A0 et s’approchant de A1 Deux nouvelles extrémités apparaissent et l’on répète le procédé à partir de celles-ci. En traçant un nombre impair d’arcs de cercles on peut ainsi tracer une courbe qui est la frontière d’une partie convexe de largeur constante. La figure ci-dessous illustre ce procédé. [2]

Nous disposons donc maintenant de nombreuses parties du plan qui sont de largeur constante. On peut déjà se féliciter : l’architecture en a profité, les pièces de monnaie, et les moteurs aussi. Le lecteur en verra apparaître au fil des illustrations de ce texte. Mon but maintenant est de mener le lecteur à un joli problème de mathématique encore ouvert de nos jours, et pour cela mieux vaut passer directement à la suite.

Buffon et Didon

Les courbes de largeur constante donnée ont un périmètre fixé ! Ainsi, le triangle de Reuleaux, comme toute courbe de largeur constante égale à 1, a le même périmètre que le disque de diamètre unité, il vaut  Le film vintage mentionné ci-dessus illustre ceci aux alentours d’une minute et vingt seconde. Cette propriété remarquable peut être démontrée en faisant appel à un autre objet mathématique célèbre, l’aiguille de Buffon. Le problème de l’aiguille de Buffon est le suivant. Traçons des droites parallèles sur le sol en les espaçant régulièrement de sorte que la distance entre deux droites consécutives est constamment égale à une distance L fixée. Prenons maintenant une aiguille de longueur l plus petite que L ; ainsi, lorsque l’aiguille repose sur le plan, elle coupe au plus une des droites que nous avons tracées. Le problème proposé par Buffon en 1733 est le suivant : quelle est la probabilité que l’aiguille, lancée au hasard sur le plan, coupe l’une des droites tracées ? La réponse est

2lL

Ainsi, lorsque l’espace entre les droites parallèles est fixé à L=1 cette probabilité vaut (2)l Si l’on fait un grand nombre de lancers de l’aiguille sur le plan, le nombre des lancers pour lesquels l’aiguille intersecte l’une des droites du quadrillage sera donc approximativement égal à

2(longueur de l'aiguille)(nombre de lancers)

Ou encore, si l’on lance notre aiguille N fois et que l’on note I le nombre total d’intersections observées, alors

longueur de l'aiguille2IN

l’égalité devenant exacte dans la limite d’un nombre infini de lancers. Ceci vaut en fait pour n’importe quelle courbe Z Supposons en effet qu’on veuille calculer la longueur d’une courbe Z tracée dans un plan. Prenons du fil de fer et tordons-le pour qu’il épouse la forme de la courbe ZAllons ensuite nous placer au-dessus d’un parquet dont les lattes sont toutes de largeur 1 Lançons le fil de fer sur le parquet et considérons le nombre de points d’intersection total entre la courbe en fil de fer et les droites qui bordent les lattes. Si la courbe Z est un segment de longueur inférieure à 1 nous observons à chaque fois 0 ou 1 intersection. Mais pour une courbe Z plus longue ou plus tordue, plusieurs points d’intersection peuvent être obtenus. Maintenant, effectuons N lancers et faisons la somme I de toutes les intersections observées. Alors, lorsque N tend vers l’infini, le rapport (2)(IN) tend vers la longueur de la courbe Z

Avec un peu d’imagination, nous pouvons maintenant inverser le lancer. La courbe Z est maintenant tracée au sol, immobile. C’est le plancher qu’on va lancer. Si cela vous inquiète, pensez à une grande feuille de papier calque rayée de droites parallèles faisant des bandes de largeur unité. Nous pouvons lancer le calque sur la courbe Z aléatoirement un grand nombre N de fois. Notons encore I le nombre total d’intersections observées entre les droites tracées sur le calque et la courbe Z Quand le nombre de lancers devient très grand, le rapport IN s’approche de(2) (Longueur de Z). [3]

Nous pouvons maintenant démontrer la propriété des courbes de largeur constante annoncée. Prenons une courbe de largeur constante égale à1 Lançons la sur un plan qui a été rayé de droites parallèles espacées d’une unité. Une fois sur le plan, la courbe ne peut être située dans une bande entre deux des droites sans toucher aucune de ces droites, car sinon sa largeur serait inférieure à la largeur de la bande, donc inférieure (strictement) à 1 Seuls deux cas peuvent donc se produire. Ou bien la courbe coupe une droite en deux points : elle est à cheval entre les deux bandes situées de part et d’autre de la droite. Ou bien la courbe est contenue dans une bande, mais touche les deux droites qui la délimitent. Ainsi, dans tous les cas, le nombre de points d’intersection de la courbe avec les droites tracées dans le plan est égal à 2 ; ceci quelque soit le lancer effectué. Si l’on effectue N lancers, le nombre total d’intersections est donc égal à 2N La formule de Buffon fournit alors

longueur d'une courbe de largeur constante 1 =22=

On retrouve le périmètre du disque de diamètre 1 (donc de rayon 12) : toutes les courbes de largeur constante égale à 1 partagent le même périmètre  De même, le périmètre des courbes de largeur constante L est égal à L

Ceci, plus la solution du problème de Didon [4] nous apprend que le cercle est la courbe de largeur constante donnée qui enclôt l’aire la plus grande. Les triangles de Reuleaux admettent une caractérisation opposée :

Théorème de Blaschke et Lebesgue

Les courbes de largeur constante donnée qui entourent une aire minimale sont les triangles de Reuleaux.

Cette caractérisation des triangles de Reuleaux est dûe à Wilhelm Blaschke et Henri Lebesgue, elle date des années 1910, et est difficile à établir.

Nous pouvons maintenant contempler un joli film issu du site russe déjà cité par Étienne Ghys dans son article sur la machine à marcher. Il illustre élégamment les remarques précédentes et décrit

  • une autre construction de courbes de largeur constante ;
  • un moteur d’automobile utilisant le triangle de Reuleaux ;
  • un mécanisme utilisé pour les projecteurs cinématographiques.

Hexagones de Julius Pál

Si je n’ose présenter ici une preuve de la caractérisation des triangles de Reuleaux dûe à Blaschke et Lebesgue, je ne peux m’empêcher d’expliquer une jolie construction qui permet de comparer toute courbe de largeur constante à des triangles de Reuleaux qui lui sont proches et qui peut donc être utilisée pour démontrer le théorème de Blaschke et Lebesgue. Cette construction est dûe à un mathématicien hongrois, Julius Pál.

Pour la comprendre, commençons par un problème de nature différente qui tracasse pas mal de familles les dimanches d’été : pendant que grand-père se fait roussir la barbe au-dessus du barbecue, papa essaie de placer au milieu de la pelouse la table de jardin qu’il vient d’acheter. Au bout d’un quart d’heure de jurons, il rentre se servir un pastis en hurlant qu’à cause de cette satanée pelouse sa table ne sera jamais stable. Et pourtant. Pourtant, il suffit d’opérer comme suit. Plaçons la table au hasard sur la pelouse ; si elle est bancale, c’est que deux pieds de la table situés en diagonale sont sur le sol, tandis que chacun des deux autres pieds est soit sur le sol, soit décolé, suivant qu’on appuie ici ou là ; il y a donc deux diagonales distinctes, la diagonale d’appui et la diagonale bancale. Tournons maintenant la table progressivement d’un quart de tour. La position finale des diagonales a été inversée, la diagonale d’appui est devenue bancale et la diagonale bancale a maintenant les deux pieds sur terre. Ainsi, au cours de la rotation de la table d’un quart de tour, il y a au moins une position où les deux diagonales échangent leur rôle ; à ce moment là, les quatre pieds de la table touchent le sol simultanément et la table n’est plus bancale (en revanche, elle peut être légèrement penchée suivant l’inclinaison de la pelouse).

Appliquons ce principe de démonstration pour nos courbes de largueur constante. Nous allons montrer que toute courbe de largeur constante est inscrite dans un hexagone régulier dont les côtés sont tous tangents à la courbe. Chaque côté de l’hexagone touche donc la courbe en un unique point. Les hexagones réguliers sont ceux pour lesquels tous les côtés ont même longueur et tous les angles aux sommets sont égaux ; ces deniers valent 120 (soit un tiers de tour). Voici un tel hexagone, avec un triangle de Reuleaux inscrit à l’intérieur pour décorer.

Voici maintenant un hexagone régulier, à gauche et, à droite, un hexagone obtenu en faisant coulisser deux côtés parallèles de l’hexagone précédent. De la sorte, nous n’avons changé ni les angles aux sommets ni l’écart entre les côtés opposés ; pourtant, le nouvel hexagone n’est pas régulier.

Donnons nous une courbe P de largeur constante égale à 1 Choisissons deux droites parallèles L et L venant toucher la courbe en deux points opposés ; elles sont donc séparées l’une de l’autre d’une unité. Ce choix étant fait, il existe deux paires de droites qui font un angle de120 avec les deux premières et viennent enserrer la courbe P en des points opposés ; la distance entre ces droites est encore égale à 1 carP est de largeur constante. A priori, l’hexagone formé par ces 6 droites n’est pas régulier car, pour qu’il le soit, il faut que ses 6 côtés aient même longueur, ce qui n’est pas automatique. C’est toutefois un hexagone très spécial : les angles aux sommets valent bien 120 et l’écart entre deux côtés parallèles quelconques est égal à 1 Notons A B C D E et F les sommets successifs de cet hexagone (voir la figure ci-dessous).

On remarque alors que cet hexagone est régulier dès que la longueur AB est égale à la longueur DE Si ce n’est pas le cas, on peut donc supposer que AB est strictement plus grand (ou plus petit) que DE Faisons maintenant tourner progressivement cette construction en conservant l’appellation des sommets : la courbe P est fixe, mais les deux droites parallèles L et L font un demi tour, si bien que les six sommets tournent autour de P Une fois le demi tour complètement effectué, les sommets A et B ont été échangés avec les sommets D et E Si la longueur initiale AB est plus grande (ou plus petite) que DE c’est le contraire qui se produit après ce demi tour ; il y a donc bien un instant au cours de la rotation pour lequel AB=DE et pour cet instant l’hexagone ABCDEF est régulier, ce qu’il fallait démontrer.

La figure suivante représente une courbe de largeur constante (elle borde l’union des zones oranges et jaune), un hexagone régulier dans lequel elle est inscrite, et un triangle de Reuleaux qui lui est proche (il entoure la partie jaune et les trois portions vertes). Le lecteur curieux pourra consulter le chapitre 7 du livre [5] pour voir comment cette figure montre que les triangles de Reuleaux entourent une aire minimale.

Solides de Meissner

Quel est l’analogue du triangle de Reuleaux pour les solides convexes, c’est-à-dire pour les parties convexes de l’espace de dimension 3 ? Il s’agit d’abord de savoir comment transposer la propriété « de largeur constante » en dimension 3 Nous dirons donc qu’un solide S est de largeur constante si la largeur entre deux plans parallèles quelconques qui viennent serrer le solide est constante. Pour visualiser cette définition, il suffit de penser à une presse constituée de deux plaques reliées par un pas de vis : posons le solide S sur la plaque inférieure et manœuvrons la presse pour que la plaque supérieure vienne serrer le solide ; S est de largeur constante si la hauteur de la plaque supérieure ne doit pas dépendre de la position du solide S

Prenons une courbe de largeur constante qui possède un axe de symétrie, par exemple le triangle de Reuleaux, ou la pièce de fifty pence représentée ci-dessous, puis faisons tourner la courbe dans l’espace autour de son axe. Le solide entouré par cette surface est de largeur constante.

Une autre construction consiste à généraliser celle du triangle de Reuleaux. Prenons donc un tétraèdre régulier. C’est une pyramide dont toutes les faces sont des triangles équilatéraux. Les quatre sommets A B C et D sont donc tous à la même distance (disons d’une unité) les uns des autres. La sphère de centre A et de rayon 1 passe ainsi par B C et D L’intersection des quatre sphères de centre 1 centrées aux sommets forme un solide parfois appelé tétraèdre de Reuleaux. Le malheur, c’est qu’il n’est pas de largeur constante. Le bonheur, c’est qu’on peut modifier légèrement la construction pour qu’il le devienne. L’idée est dûe à Ernst Meissner et Friedrich Schilling : prenons l’un des côtés T du tétraèdre initial et prolongeons un peu les deux faces contenant ce côté. Elles viennent alors intersecter le tétraèdre de Reuleaux sur deux arcs de cercles C1 et C2 Retirons la partie située entre C1 et C2 et remplaçons-la par le nouveau morceau obtenu en faisant tourner l’arc de cercleC1 jusqu’à l’arc de cercle C2 autour de l’axe T On répète alors cette opération trois fois, soit avec trois côtés T T et T" qui bordent une face du tétraèdre soit avec trois côtés partant d’un même sommet. Nous obtenons deux solides différents, les deux solides de Meissner, qui sont de largeur constante. Pour contempler l’un de ces solides, le mieux est de se rendre sur la page créée par Cristof Weber, de l’université de Zurich.

Le problème ouvert que j’ai mentionné plus haut s’énonce ainsi :

Question

Les solides de largeur constante donnée dont le volume est minimum sont-ils exactement les solides de Meissner ?

Apparemment, la réponse n’est pas connue.


Notes

[1] Franz Reuleaux (1829-1905) est un mécanicien allemand du dix-neuvième siècle réputé qui a contribué à de nombreuses avancées en mécanique, cinématique, et ingénierie. Il fût parfois critiqué, paraît-il, pour avoir une approche un peu trop mathématique de la mécanique... L’ université Cornell, aux Etats-Unis, a créé un bâtiment en son honneur et lui dédie plusieurs sites web : site de la bibliothèquesite du laboratoire de mathématique .

[2] Cette construction est un progrès véritable, puisqu’on peut

  • passer à la limite en utilisant une infinité d’arcs de cercles pour construire de nouvelles courbes de largeur constante ;
  • démontrer que toute courbe de largeur constante (égale à 1) peut être approchée par des courbes ainsi formées par des morceaux de cercles de rayon 1

[3] La formule de Cauchy et Crofton dit essentiellement la même chose : la somme (ou plutôt l’intégrale), sur l’ensemble des droites affines du plan, du nombre de points d’intersection entre les droites et une courbe Z fixée est égale à (une constante fixe fois) la longueur de la courbe. Il faut intégrer par rapport à une mesure sur l’espace des droites qui est invariante par rotations et translations ; le choix de la mesure détermine la constante.

[4] Voir le billet de Benoît Kloeckner sur l’inégalité isopérimétrique

[5] H. G. Eggleston : Convexity, Cambridge Tracts in Mathematics and Mathematical Physics, No. 47, (1958), Cambridge University Press

 

Source : http://images.math.cnrs.fr/Le-triangle-de-Reuleaux.html

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