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08/01/2010

Entre figures et espaces : le cas des diagrammes en géométrie finie

Entre figures et espaces : le cas des diagrammes en géométrie finie

Le 12 novembre 2009, par Sébastien Gandon

Que représente une figure ? On cherche ici à montrer que la réponse à cette question n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Nous sommes tous plus ou moins familiers avec les diagrammes de la géométrie classique, qui matérialisent une figure dans le plan ou dans l’espace. On sait peut-être moins que dans l’Antiquité, ces figures ... n’étaient dans rien. Ce n’est que bien plus tard, voici en gros un siècle, qu’on les a approchées comme partie d’un espace, espace vers lequel s’était déplacé une grande partie de l’effort mathématique. Ce qui est encore moins connu, c’est la manière dont des diagrammes semblables à ceux de la géométrie classique ont été utilisés, au début du XXe siècle, pour représenter ... des espaces. Il fallait pour cela que les mathématiciens s’intéressent aux géométries finies. Cet article est consacré à leur émergence et au rôle conceptuel qu’elles jouèrent dans l’histoire de la géométrie.

Introduction

EN histoire de la géométrie, on a souvent coutume d’opposer la géométrie qu’on dit « classique » —celle qui aurait été pratiquée depuis les Eléments d’Euclide jusqu’aux Fondements de la géométrie de Hilbert [1], publiés en 1899, et qui porte sur les propriétés des figures— à la géométrie dite « moderne » —celle qu’auraient inauguré les mêmes Fondements— et qui étudie les propriétés d’un espace. Dans cette perspective, les Éléments d’Euclide représentent le modèle d’une « géométrie des figures ». Certes, chez Euclide, les théorèmes sur le triangle, le cercle, etc. sont déduits, comme cela se passe chez Hilbert, à partir d’axiomes (les cinq « demandes » du livre I [2]). Mais on a mis en évidence depuis longtemps que les preuves euclidiennes comportaient des lacunes : certaines hypothèses, nécessaires dans les déductions, sont introduites par référence aux diagrammes et ne font l’objet ni d’axiomes, ni de propositions déduites de ces axiomes [3]. Les propriétés de l’espace dans lequel « vivent » et s’insèrent les figures étudiées ne sont ainsi complètement explicitées ni chez Euclide ni chez ses successeurs. En fait, cet « espace » n’est même abordé qu’indirectement, par le biais du fait que chaque figure peut être « enrichie » de diverses manières (les droites peuvent être prolongées, de nouveaux points introduits, etc.). Se permettre d’opérer de la sorte sur une figure, c’est dire qu’elle se trouve donc d’une certaine manière intrinsèquement liée à un « environnement », un plan par exemple. Mais Euclide n’élucide pas complètement les modalités de cette articulation. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, le simple fait que deux cercles « entrelacés » se coupent en deux points n’est prouvé nulle part !

C’est précisément sur ce point que la géométrie inaugurée par Hilbert se démarque des pratiques anciennes et c’est la raison pour laquelle on la qualifie de « moderne » : dans cette nouvelle manière de faire, la structure globale de l’espace est complètement donnée par un système d’axiomes. Tout ce qui peut être déduit des postulats est considéré comme un théorème, mais l’on s’interdit en revanche d’utiliser, dans les démonstrations, une information qui ne figurerait pas dans les axiomes ou qui ne pourrait pas être établie à partir d’eux. Hilbert a présenté dans les Fondements une liste de vingt postulats, répartis en cinq groupes [4], et l’ensemble des théorèmes de la géométrie d’Euclide s’en déduisent. À la différence des géomètres « classiques », au sens que nous avons introduit plus haut, Hilbert démontre ainsi, par exemple, le fait que deux cercles « entrelacés » se coupent en deux points. Ce trait trahit en fait une mutation fondamentale par rapport aux pratiques antérieures. Le géomètre hilbertien n’étudie plus tant les propriétés des figures qu’il ne s’intéresse à la structure des « modèles » du système axiomatique considéré. Un modèle, ici, c’est un ensemble d’objets (qu’on appelle « points », « droites ») et de relations (« être sur », « se couper », « être parallèle », etc.) qui satisfont tous les axiomes. Les points et les droites dans le plan, tels que les concevaient les mathématiciens grecs, obéissent à tous les postulats de Hilbert. Mais il en va de même des couples de nombres réels (l’interprétation de « points » dans la géométrie « cartésienne ») et des équations linéaires en x et en y (interprétant les « droites »). Ils n’ont certes en eux-mêmes rien à voir avec l’espace tel que notre intuition visuelle et tactile nous le présente, et tel aussi que les Grecs le concevaient, mais ils satisfont néanmoins à ces axiomes et ils constituent donc également un modèle du plan euclidien.

Dans cette nouvelle perspective, l’objet d’étude du géomètre n’est plus la figure ou ses propriétés, mais un espace. De plus, cet espace ne se présente pas comme ce « dans quoi » les figures étudiées se trouvent, c’est-à-dire comme un milieu toujours présent dont les propriétés resteraient à l’arrière-plan, mais comme un modèle abstrait d’un système axiomatique. Ces deux approches de la géométrie présentent des ressemblances (en un sens, Hilbert axiomatise bien la théorie d’Euclide), mais les différences entre elles sont essentielles. Les historiens des mathématiques parlent volontiers de la rupture hilbertienne. Pour reprendre une métaphore classique en histoire de la philosophie, on pourrait dire que les Fondements de la géométrie accomplissent une véritable révolution copernicienne : dans la géométrie classique, les propositions géométriques portent sur (tournent autour) des figures, considérées comme des objets s’insérant dans un espace donné antérieurement à la théorie ; dans la géométrie qui se situe dans la descendance de Hilbert, c’est l’inverse : le géomètre définit l’espace par un discours qui prend systématiquement la forme d’une axiomatique —le discours ici tourne autour de l’espace.

Mon propos dans ce qui suit n’est pas de remettre en cause la pertinence de l’opposition que je viens de décrire, mais de montrer que la division ne recoupe pas tout le champ des possibles. Plus précisément, je montrerai dans ce qui suit qu’il existe des cadres théoriques dans lesquels les mathématiciens ont utilisé des figures ou des diagrammes pour représenter des espaces —et, inversement, que dans ces contextes des espaces, définis axiomatiquement, ont pu être dessinés sur une feuille de papier. Ainsi, dans les géométries finies qui sont apparues au début du XXe siècle, les modèles des axiomatiques sont des figures, et les propriétés de ces figures expriment des caractéristiques de l’espace sous-jacent. Plutôt que de présenter un panorama chronologique de l’émergence de ces nouvelles géométries, je me servirai de la distinction entre figure et espace pour problématiser quelques étapes de cette histoire. Je donnerai tout d’abord quelques indications mathématiques préalables sur la notion de « configuration », qui a joué un rôle fondamental dans cette affaire. Je montrerai ensuite comment les géomètres du XIXe siècle en sont venus à distinguer deux notions de configuration : un concept « abstrait », combinatoire, d’une part, et un concept « concret », géométrique, de l’autre. Enfin, j’étudierai le début de l’article « Finite Projective Geometries » de Oswald Veblen (et de son collègue W. Bussey), véritable acte de naissance des géométries finies, pour montrer comment la substitution des espaces finis aux configurations nécessitent, pour être comprise, de remettre en question le caractère exclusif de la disjonction « figure versus espace ».

1- Préalable mathématique


Avant de définir le concept clé de configuration, donnons quelques indications sur la façon dont les mathématiciens définissent aujourd’hui la notion de structure d’incidence. Soit P un ensemble (fini) de « points », et D un ensemble (fini) de « droites » (j’expliquerai bientôt pourquoi je mets des guillemets) ; une structure d’incidence nous apprend sur quelles « droites » se trouve chacun des « points » de P , et quels « points » chacune des « droites » de D contient. Prenons un exemple. Admettons qu’on ait trois « points » AB et C et deux droites 1 et 2 (P=ABC et D=12) ; on peut définir la structure d’incidence I de cette manière : A et B sont sur les « droites » 1 et 2C sur la « droite » 1 seulement. I peut être représentée par un tableau à double entrée, où les « X » indiquent que le « point » correspondant à la colonne se trouve sur la « droite » correspondant à la ligne :

I A B C
1 X X X
2 X X

Tous les tableaux à double entrée de ce type correspondent à une structure d’incidence possible définie sur ABC et 12. Certains correspondent à des situations géométriquement réalisables – mais d’autres non. Qu’est-ce à dire ? Reprenons pour exemple la structure que nous considérons : en géométrie euclidienne (comme dans la plupart des autres géométries), une droite est déterminée par deux points ; or dans la structure I , deux droites distinctes (1 et 2) passent par les deux mêmes points (A et B). Il est donc clair que nous ne pouvons pas représenter sur une figure, par des « vrais » points et des « vraies » droites, les conditions énoncées dans le tableau précédent. Au mieux, on peut proposer le genre de représentation que montre la figure 1, où (AB) correspond à la « droite » 2, mais où un arc de cercle correspond à la « droite » 1

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Figure 1.

J’ai mis ci-dessus « points » et « droites » entre guillemets pour manifester le fait que les éléments de P et de D ne correspondaient pas nécessairement aux objets géométriques associés d’habitude à ces mots. Et j’ai enlevé les guillemets lorsque je parlais des entités géométriques usuelles. La notion de structure d’incidence est très générale, puisque n’importe quel tableau à double entrée en constitue une. Les mathématiciens ont été conduits à introduire des structures d’incidence plus particulières, qu’ils ont appelées « configurations », en imposant diverses contraintes supplémentaires sur la façon dont les points et les droites se croisaient. Une configuration (vrbk) désigne ainsi une structure d’incidence de v « points » et b « droites », telle que :

  • (i) il y a au plus une « droite » passant par deux « points » quelconques ;
  • (ii) il y a k « points » sur chaque « droite » et r « droites » sur chaque « point ». [5]

La structure I n’est ainsi pas une configuration car deux « droites » différentes passent par le même couple de « points » (ce qui contredit (i)). De plus, cette structure n’a ni le même nombre de « points » sur toutes les « droites », ni le même nombre de « droites » sur tous les « points » (ce qui contredit (ii)).

En revanche, la structure d’incidence qui comporte 4 « points » (P=ABCD ) et 6 « droites » (D=123456 ), dont chaque point est à l’intersection de trois droites et dont chaque droite contient deux points, est une configuration. On la qualifie comme ayant le genre (4362)ou encore4 3 2 6 [6]. On peut lui associer le tableau suivant, où on vérifie que chaque ligne comporte deux « X » et chaque colonne en contient trois :

A B C D
1 X X
2 X X
3 X X
4 X X
5 X X
6 X X

Comme nous venons de le voir, les éléments distingués —les « points » et les « droites »— ne sont pas ici, malgré leur nom, des objets géométriques. Le diagramme précédent est un tableau à double entrée, et il peut recevoir toutes les interprétations qu’une telle structure de données est habituellement susceptible de recevoir. Mais il se trouve ici, à la différence de ce qui se passait plus haut, qu’on peut donner un sens géométrique à la configuration en question. Dans la Fig. 2, si l’on ne considère que les points ABCD et les droites 16 chacun des quatre points ABCD est sur trois des six droites 16 et chacune de ces six droites contient deux des quatre points :

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Figure 2. : Réalisation géométrique de la configuration(4362)

La figure 2 est le schéma d’un objet géométrique, et même d’un objet euclidien, si l’on entend par là que les « droites » sont représentées par des droites conformes à celles qu’Euclide considérait et non pas par des arcs de cercles comme dans la Fig. 1. Remarquons toutefois que l’objet est euclidien en un sens très particulier, puisque dans la configuration, beaucoup d’éléments considérés ordinairement comme faisant partie de la figure doivent être ignorés. Ainsi, les droites 16 ne contiennent que deux points ; tous les « autres » points, y compris les intersections des droites 1 et 52 et 43 et 6, ne comptent pas. De même, les « autres » droites passant par les points AD (celles, par exemple, qui se trouvent à l’intérieur de l’angle de sommet A et de côtés 1 et 3) sont volontairement écartées. Nous reviendrons sur cet étrange aspect des configurations géométriques bientôt – faisons pour l’instant comme si l’on pouvait faire correspondre des figures euclidiennes à certaines configurations. La question qui se pose naturellement est de savoir si toutes les configurations peuvent recevoir une telle interprétation géométrique. Ce n’est pas le cas, comme le montre l’exemple de la configuration « symétrique » (7373), c’est-à-dire la configuration composée de 7 « points » et 7 « droites » et pour laquelle chaque « point » se trouve sur trois « droites » tandis que chaque « droite » est composée de trois « points ». Donnons la table d’incidence de la configuration :

A B C D E F G
1 X X X
2 X X X
3 X X X
4 X X X
5 X X X
6 X X X
7 X X X

Il n’est pas possible de réaliser une telle configuration en prenant, pour éléments de P, des points et, pour éléments de D, des droites du plan ordinaire. Un beau théorème de Steinitz (1894) [7] montre cependant que chaque configuration de n « points » et n « droites » tels que chaque « point » se trouve sur trois « droites » et chaque « droite » est composée de trois « points » peut être tracée dans le plan ordinaire à l’aide de droites quasi toutes « normales », à l’exception de l’une d’entre elles au plus, qui doit être une ligne « quadratique » (une courbe de second degré coupée par une droite en au plus deux points). Ainsi la configuration 73, également appelée plan de Fano, peut être représentée comme suit :

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Figure 3. : Le « plan de Fano » 73

Une des questions qui traverse l’histoire de la théorie des configurations est celle de distinguer les configurations du genre de 73 qui ne peuvent recevoir d’interprétation géométrique de celles auxquelles il est possible d’en associer une, comme celle représentée dans laFig. 2.

Il se présente également un autre problème, plus délicat à décrire. Revenons, pour l’introduire, à la notion de structure d’incidence, dont nous avons vu qu’elle était complètement spécifiée par une table d’incidence. Si nous intervertissons la ligne 1 et la ligne 2 dans la table d’incidence de la configuration à quatre points et six droites étudiée ci-dessus, nous obtenons une nouvelle structure d’incidence, différente de la première. Nous n’obtenons pas pour autant une configuration réellement nouvelle. Nous avons en effet simplement interverti le nom de la droite 1 et de la droite 2 — ce qui ne change rien à la nature de la configuration.

Il ne faudrait cependant pas croire que les configurations de genre (vrbk) ont des tables d’incidence qui s’obtiennent toutes les unes à partir des autres par des modifications de ce type. Il arrive (et c’est, en réalité, le cas le plus fréquent) que l’on trouve, pour un genre de configuration(vrbk) donné, plusieurs tables d’incidences que l’on ne peut pas transformer les unes dans les autres par une simple modification du nom des « points » et des « droites ». Dans ces cas, on a véritablement affaire à des configurations différentes. Je donne, pour illustrer ce phénomène, une représentation des trois configurations 93 (neuf points, neuf droites, trois droites par points, trois points par droites), exemple qui a pour avantage que les configurations sont toutes réalisables géométriquement dans le plan ordinaire :

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93(a)93(b)93(c)
Figure 4. : Les trois configurations 93. La seconde est la configuration de Pappus.

Il n’existe aucune possibilité de faire correspondre les lignes et les colonnes de la table d’incidence de 93(a) et de 93(b), de manière telle que, si la case déterminée par une ligne et une colonne dans la première table est occupée par un X, alors la case déterminée par l’image de la ligne et l’image de la colonne est également occupée par un X (et réciproquement). Il n’y a pas moyen, ici, de corréler un à un (on parle en termes plus techniques de relier « bijectivement ») les points et les droites des configurations de façon à laisser les relations d’incidence inchangées. La question de savoir combien de configurations différentes d’un certain type existent (problème dit de l’énumération des configurations) a joué un rôle très important dans le développement de la théorie. Et comme nous allons maintenant le voir, il n’est pas sans lien avec le problème de la distinction entre les configurations géométriquement réalisables et celles qui ne le sont pas.

2- Le concept de configuration : de Reye à Moore [8]

C’est, en 1876, dans la seconde édition de son Geometrie der Lage que Theodor Reye, mathématicien allemand de l’université de Strasbourg, présente une première définition générale du terme de configuration [9] :

Une configuration ni dans le plan consiste en n points et n droites tels que chacune des n droites passe par i des n points et que par chacun des n points passent i des n droites.

La définition est restrictive, dans la mesure où c’est seulement les configurations planaires « symétriques » (où points et droites jouent des rôles qui se font miroir) qui sont retenues. Mais surtout, Reye considère les configurations comme des objets géométriques. Une configuration d’un type donné n’est pas ici une (ou plus précisément un ensemble de) structure(s) d’incidence « abstraite », définie par une (une famille de) table(s) d’incidence : les points et les droites dont il est question dans les configurations sont pour Reye des points et des droites d’un plan —pour être précis, disons que les plans en question sont ordinaires à ceci près que deux droites quelconques s’y rencontrent toujours (on appelle de tels plans « projectifs »). Le géomètre affirme ainsi qu’il n’y a pas de configuration 83, parce qu’aucune interprétation ne peut être donnée à la structure dans un plan de ce type. Dans un texte ultérieur, intitulé Das Problem der Configurationen et publié en 1882 [10], Reye pose toutefois une question qui va mettre les mathématiciens sur la voie du concept « abstrait » :

Le problème des configurations est celui d’énumérer combien de configurations différentes il y a du genre ni et d’étudier leurs principales propriétés.

Reye, se référant aux résultats obtenus par Seligmann Kantor (un mathématicien allemand travaillant à Prague) en 1881 [11], affirme ainsi qu’il y a trois configurations 93(non « réductibles » les unes aux autres au sens évoqué plus haut) et dix configurations 103. À la fin de son article, Kantor construisait, c’est-à-dire dessinait, ces dix configurations. Pour Kantor comme pour Reye, une configuration est un objet géométrique, représentable par une figure que l’on peut construire sur le plan de la feuille en respectant certaines conventions qui sont celles de la géométrie ordinaire ou celle de la géométrie que nous avons évoquée plus haut sous le qualificatif de « projective ».

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Figure 5. : La configuration de Desargues, une des configurations 103.

Six ans après, en 1887, un mathématicien italien, Vittorio Martinetti [12], découvre une méthode permettant de trouver le nombre de configurations symétriques n3 à partir du nombre des configurations (n1)3. Son approche est purement « abstraite » : construire une configuration veut ici dire élaborer une table d’incidence, et, au lieu d’user des mots « points » et « droites », Martinetti emploie d’ailleurs les mots « nombre » et « colonnes ». Rien donc ne permet a priori d’affirmer l’identité entre les configurations au sens de Martinetti et les configurations au sens de Kantor. En réalité, les deux notions diffèrent. Heinrich Schröter, dans un article daté de 1888 [13], montre que s’il y a bien, comme Kantor le prétend, dix configurations 103, seules neuf sont géométriquement réalisables au sens que nous avons donné à l’expression dans cet article – une des figures dessinées par Kantor était en réalité fausse, dans la mesure où Kantor assimilait un angle proche d’un angle plat à un angle plat.

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Figure 6. : La (fausse) configuration 103 de Kantor (tiré de Gropp 2004, 82).

Comme l’on voit, il n’est pas du tout évident de déterminer en quoi la figure est incorrecte.

Schröter tire la conclusion qui s’impose en distinguant les configurations géométriquement constructibles des configurations « combinatoirement » admissibles. À la fin de son article, il reprend l’approche abstraite de Martinetti, et ajoute :

On habille ce pur problème combinatoire, consistant à construire une configuration 103, d’un habit géométrique (ein geometrisches Gewand) lorsque l’on pose que les éléments sont des points et les colonnes des droites, et que l’on recherche donc une figure de dix points et de dix droites, telle que chacune des dix droites contienne trois des dix points et telle que, par chacun des dix points, passent trois des dix droites.

De la présentation qui précède, il ressort donc que la notion de configuration a d’abord été perçue comme un concept relevant de la géométrie (projective réelle) pour peu à peu s’abstraire en devenant un concept relevant de la « combinatoire ». Alors que chez Reye et Kantor, une configuration est un système d’éléments spatiaux dont on étudie les propriétés, chez Schröter, ce système est seulement « l’habit géométrique » d’une structure plus profonde, qui devrait pouvoir être décrite indépendamment de toutes considérations relatives à l’espace.

Mais Schröter ne donne aucune définition générale du concept abstrait de configuration, et on ne trouve pas chez lui la notion de structure d’incidence, telle que nous l’avons rencontrée dans la section 1. C’est le mathématicien américain E. H. Moore, dans un article intitulé Tactical Memoranda, daté de 1896, qui donne la première définition générale, sous-jacente dans le raisonnement de Schröter [14]. Moore se place dans le cadre très général d’un espace de dimension n (donc dans un cadre beaucoup plus général que celui que nous avons adopté dans la section 1, où nous nous sommes limités au plan). Si on laisse cet aspect de côté, sa caractérisation du concept de configuration revient, à quelques détails près, à celle que nous avons donnée à la section 1.

Moore définit d’abord le concept de structure d’incidence (p. 265) et celui, connexe, de table d’incidence. Il précise que la table fournit la caractérisation complète de la relation d’incidence, « qui n’est pas autrement définie ». Il poursuit, g et h désignant deux classes d’objets (par exemple des points et des droites), et ag désignant le nombre d’éléments de la classe g :

Ce système est appelé configuration tactique de rang n si, pour tout gh(gh), chaque objet de l’ensemble g est incident avec le même nombre, agh, disons, d’objets de l’ensemble h. J’inscris les nombres fondamentaux ag et agh d’une configuration de rang n dans le symbole matriciel carré (agh) (avec gh=12n et la convention agg=ag) Ce symbole vaut en quelque sorte comme une notation de la configuration.

Une configuration « tactique » de rang 2 correspond donc à la notion de configuration donnée dans la section 1 (elle est en réalité un peu plus générale puisque seule la condition (ii) de la définition supra. est reprise). Et on retrouve l’usage de la notation tabulaire utilisée plus haut.

Pour bien comprendre comment Moore la généralise, prenons l’exemple de la configuration tridimensionnelle tétraèdre, qui peut se noter en utilisant une table de trois par trois ainsi  4 3 3 2 6 2 3 3 4 . La configuration tétraèdre (voir figure 7) est constituée de quatre points, six droites, quatre plans (les nombres apparaissant dans la diagonale de la table). Elle se caractérise par le fait que par chaque point passent trois droites et trois plans (première ligne), tandis que chaque droite est composée de deux points et passe par deux plans (seconde ligne) et que chaque plan contient trois points et trois droites (troisième ligne) [15].

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Figure 7. Configuration tétraèdre

Adoptant le point de vue « abstrait » de Schröter, Moore reprend ainsi la distinction entre configurations géométriquement réalisables et celles qui ne le sont pas. Le mathématicien souligne par exemple (p. 266) que 73 n’est pas constructible dans le plan euclidien – il ne mentionne toutefois pas le résultat de Steinitz.

3- L’émergence des espaces finis

L’approche de Moore est « abstraite », donc en un sens déjà « moderne » si l’on entend par ce terme l’idée introduite au tout début de l’article : la configuration comme objet géométrique apparaît en effet seulement comme une interprétation de la structure combinatoire sous-jacente. J’aimerais montrer pourtant que cette « abstraction » n’est pas de même nature que celle introduite par Hilbert et sa méthode axiomatique.

En 1906, Veblen et Bussey, qui ont été élèves de Moore, publient un article fondateur, « Finite Projective Geometries », dans lequel sont élaborées, en suivant le modèle axiomatique hilbertien, les premières géométries finies (c’est-à-dire les premières géométries dans lesquelles le nombre de points et de droites et éventuellement de plans de l’espace considéré est fini). L’article de Moore y joue un rôle crucial mais ambigu. Dans la section 1 de leur article, intitulée « définition synthétique », les deux auteurs présentent une liste de cinq axiomes définissant un espace de dimension k. Je vais ici, pour plus de facilité, me restreindre au cas du plan dont je parlais plus haut, le plan projectif, celui où deux droites se coupent toujours, pour lequel, donc, k est égal à 2 :

  • I L’ensemble contient un nombre fini (2) de points. Il contient des sous-ensembles appelés droites, qui comportent chacun au moins trois points.
  • II Si A et B sont des points distincts, il y a une et une seule droite qui contienne A et B.
  • III Si ABC sont trois points n’appartenant pas tous à la même droite, et si une droite I contient un point D de la droite AB et un pointE de la droite BC, mais ne contient ni A, ni B, ni C, alors la droite I contient un point F de la droite CA.
  • IV Les points ne sont pas tous sur la même droite.

Soit donc un ensemble fini de « points » (le « plan ») et une famille de sous-ensembles (les « droites » du « plan »). L’axiome I stipule que les « droites » doivent contenir au moins trois « points », l’axiome II, que deux « points » déterminent une « droite », l’axiome IV que, quelle que soit la « droite » que l’on considère, il y a un « point » extérieur à cette « droite ». Enfin l’axiome III, légèrement plus compliqué, impose que si ABCest un « triangle », et si D est un « point » de (AB) et E un « point » de (BC), chacun distinct de AB et C, alors (DE) coupe (CA) en un point (voir figure 8).

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Figure 8. L’axiome III de Veblen

Si les axiomes I, II et IV sont vérifiés dans le plan euclidien, le troisième ne l’est pas puisqu’il n’est pas compatible avec l’existence d’une droite parallèle à (CA) coupant (AB) en D et (BC) en E. En revanche, nous avons vu plus haut que pour la géométrie qu’on appelle « projective », deux droites coplanaires distinctes se coupent toujours en exactement un point.

Ces quatre postulats correspondent presque exactement aux axiomes qui permettent à Veblen et Young, dans leur manuel de géométrie projective de 1910 [16], de développer la totalité de la géométrie du plan projectif « ordinaire » (non fini). C’est sur cette base que Veblen et Bussey peuvent affirmer que leur théorie est une géométrie projective finie : mise à part la demande que le plan soit constitué d’un nombre fini de points, rien ne distingue leur théorie de la géométrie projective standard. Cette ressemblance justifie donc de considérer leur axiomatique comme une « géométrie ».

Bussey et Veblen montrent que la configuration 73 (le plan de Fano, considéré comme une structure combinatoire décrite par une table d’incidence, voir supra.) satisfait les axiomes de la géométrie projective. La configuration en question constitue donc un modèle parmi d’autres du système, et elle peut donc être considérée comme un plan projectif fini. Dans le reste de leur opuscule, les deux géomètres étudient de façon systématique les propriétés des espaces projectifs finis, en déployant toutes les ressources qu’offrent leur axiomatique et l’analogie qu’ils mettent en place avec la géométrie projective « ordinaire ». A priori, la démarche de Veblen et Bussey ne présente donc rien de méthodologiquement étrange. Dans le sillage de Hilbert, les deux mathématiciens étudient les modèles d’une structure axiomatique particulière.

Vu de plus près toutefois, leur travail prend un autre visage. Citons l’introduction de « Finite Projective Geometries » :

Par le biais du concept généralisé de géométrie tel qu’il ressort inévitablement des recherches récentes et profondes sur les fondements de cette science, est donnée, dans le §1 de cet article, une définition d’une classe de configurations tactiques qui inclut de nombreuses configurations bien connues, ainsi que plusieurs nouvelles. Le §2 développe une méthode qui permet de construire ces configurations et qui se révèle fournir toutes les configurations satisfaisant la définition. Dans les §§4-8, on montre que les configurations ont une théorie géométrique identique, dans la plupart de ses théorèmes généraux, à la géométrie projective ordinaire (…). Dans le §9, référence est faite aux autres définitions de certaines des configurations incluses dans la classe définie dans le § 1.

Veblen et Bussey se placent non seulement dans la filiation de « recherches récentes et profondes sur les fondements » de Hilbert, mais aussi dans celle des études sur les configurations développées durant toute la fin du XIXe siècle et dont le Tactical Memoranda de Moore propose une synthèse. La liste de postulats est présentée ici, non pas comme un système axiomatique particulier, mais comme la « définition d’une classe de configurations ». Et le paragraphe 9, final, dans lequel les auteurs renvoient à Moore, vise à expliciter les liens entre le concept d’espace projectif fini et les diverses structures combinatoires déjà connues –signalons, dans un langage un peu plus technique, la connexion la plus évidente : un plan projectif d’ordre [17q peut être vu comme une configuration symétrique de q2+q+1 points et droites laquelle a pour propriétés que chaque point y est sur q+1 droites et chaque droite comporte q+1 points (on vérifie que le plan de Fano est un modèle du plan projectif d’ordre 2).

L’adoption du nouveau schéma hilbertien, loin donc de constituer une rupture radicale par rapport aux anciennes recherches, permet donc de reformuler les questions liées aux configurations dans un nouveau cadre, explicitement considéré comme « géométrique ». Mais la question se pose alors de comprendre en quel sens exactement on entend désormais ce qualificatif de « géométrique ».

Caractériser les recherches de Veblen et Bussey de « géométriques » ne signifie pas, bien entendu, qu’on les assimile à celles, pré-combinatoires, de Reye et Kantor. Les espaces projectifs ne sont pas des figures, comme les configurations l’étaient chez les deux précurseurs. Veblen et Bussey adoptent le point de vue « abstrait » de Moore : les configurations ne sont pour eux que des familles de structures d’incidence. Leur idée est cependant qu’il est possible d’appliquer à l’étude de ces systèmes d’éléments abstraits, des concepts et des méthodes issus de la géométrie. Plus précisément, ils conçoivent ces systèmes comme des modèles de la théorie projective finie.

Cette réintroduction de la géométrie dans la combinatoire se manifeste de façon particulièrement spectaculaire dans le traitement par Veblen et Bussey de la configuration 73. Le plan de Fano est la structure la plus simple satisfaisant les conditions I-IV. Or 73 était considéré par Moore comme l’exemple paradigmatique d’une configuration géométriquement impossible. En une dizaine d’années, l’illustration la plus simple d’une configuration non constructible dans un cadre euclidien ordinaire (ou projectif) devient l’exemple le plus simple et le plus répandu de ce qu’est un espace projectif fini.

Il y a ici une inversion extrêmement frappante : 73, qui en était venue à être conçue comme une configuration « abstraite » dénuée de tout contenu géométrique, devient l’illustration la plus simple de ce qu’est un plan projectif fini. La configuration dessinée dans la Fig. 3 ci-dessus passe du statut de figure fausse, reflétant l’impossibilité de construire une certaine structure sur le plan de la feuille, à celle d’une représentation, toujours sur le plan de la feuille, du plan projectif lui-même.

Bien entendu, c’est « le concept généralisé de géométrie, tel qu’il ressort inévitablement des recherches récentes et profondes sur les fondements de cette science », c’est-à-dire les Fondements de Hilbert, qui explique ce renversement (la configuration 73 est un modèle de l’axiomatique proposée). Mais il faut insister sur le fait que le nouveau cadre conceptuel reprend certains éléments présents dans la vieille notion de configuration.

D’une certaine façon, même lorsqu’une configuration est conçue comme un objet géométriquement réalisable, elle possède déjà une certaine indépendance, une certaine autonomie, par rapport à son plan d’inscription. Nous avions noté que la Fig. 2, celle de la configuration de quatre points et de six droites, pouvait difficilement être considérée comme une figure euclidienne, dans la mesure où, chez elle, certains éléments qui d’ordinaire seraient considérés comme faisant partie du schéma devaient en être exclus. Toujours dans le même ordre d’idées, j’ai choisi, dans la Fig. 1, de représenter la droite (AB) par un segment, et la « droite » (ABC) par un arc s’arrêtant à A et C, ceci pour signifier que le « devenir » de (AB) et de (ABC) dans le plan ne nous intéressait pas. Autrement dit, les configurations réalisables géométriquement ne s’insèrent pas dans leur environnement comme les figures « ordinaires » (bien entendu, je schématise ici : il y a de multiples types d’usage des figures chez les géomètres euclidiens).

Les configurations n’ont aucun hors-champ que l’on pourrait utiliser à discrétion pour introduire ce qui nous est nécessaire dans les démonstrations. Les relations d’incidence entre les points et les droites y sont fixées dès le début, et toute modification de ces relations détruit le système que l’on considère. Le regard qui parcourt une configuration géométrique n’est ainsi pas le même que celui qui étudie une figure euclidienne. L’attention est focalisée sur le nombre d’intersections – elle n’est pas tendue par la possibilité d’enrichir ou de diviser la figure.

Veblen et Bussey, en construisant leurs nouvelles géométries, ne font donc qu’accomplir ce mouvement d’autonomisation contenu en germe dans la notion de configuration. La tendance à détacher la figure de son inscription dans un espace atteint son apogée dans le concept de plan projectif fini : le plan de Fano n’est pas le dessin d’une figure sur une feuille – il est censé se substituer à la feuille sur laquelle on dessine.

Conclusion

Que Veblen et Bussey s’inscrivent dans le projet de refondre axiomatiquement la géométrie n’empêche pas leur travail de prolonger et radicaliser les premières recherches sur les configurations. L’étude des géométries finies est ainsi un bon belvédère pour observer et tenter de mesurer in concreto l’impact des Fondements de la géometrie sur la pratique des géomètres.

Veblen, comme Moore d’ailleurs [18], ont lu Hilbert très précisément, et, avec d’autres mathématiciens américains (les travaux de ce groupe sont connus étant ceux de l’« école postulationniste » [19] ), ils entreprennent d’appliquer la nouvelle méthode à des champs très différents (théorie algébriques, géométriques, etc).

Dans l’article sur la géométrie finie de 1906, l’utilisation du modèle hilbertien rencontre toutefois un mouvement d’abstraction déjà fort abouti – celui qui a mené les mathématiciens des configurations considérées comme des objets géométriques aux configurations combinatoires abstraites. Dans ce contexte, l’axiomatisation n’est pas seulement une étape supplémentaire vers l’abstraction – ironiquement, elle se présente même comme un mouvement inverse, comme un retour vers la géométrie.

La nouvelle approche permet en effet d’appliquer les concepts et les techniques géométriques à des situations et des problèmes purement combinatoires. Essayer de préciser l’impact des Fondements sur les mathématiciens américains travaillant sur les configurations permet donc de mesurer combien la révolution copernicienne que représente l’approche hilbertienne intègre des éléments qui appartiennent à un socle plus ancien.

Plus généralement, l’opposition souvent reprise entre géométrie de la figure et géométrie de l’espace a l’inconvénient de présupposer que le mode d’insertion de la figure dans un espace n’est pas vraiment un problème digne de l’attention de l’historien. Dans la perspective de la dichotomie entre espace et figure, soit on se concentre sur la figure, et dans ce cas, la question de la nature de l’espace dans lequel « vit » la figure ne peut par principe pas être explicitée ; soit on axiomatise l’espace sous-jacent, mais alors l’étude des triangles et des cercles, des courbes et des droites, devient secondaire et disparaît de l’horizon.

Or, il semble que le rapport entre la figure à son « environnement » (à son « support », et même à la matérialité de ce support) ait parfois été une question pour les mathématiciens (qu’ils précèdent Hilbert ou qu’ils le suivent). Elle devrait donc l’être aussi pour les historiens des mathématiques. La feuille sur laquelle le géomètre trace ses figures a des bords – n’est-il pas possible prendre en compte l’existence de ces limites dans la pratique géométrique elle-même [20] ?

Certaines sortes de « figures » (mais faut-il encore les appeler ainsi ?), les configurations, dans lesquelles les rapports à l’espace « environnant » sont comme suspendus, ont peu à peu été prises pour sujet d’étude par les géomètres au XIXème siècle – comment caractériser ces nouveaux objets ?

Enfin, les mathématiciens qui travaillent de nos jours en géométrie discrète et plus généralement en combinatoire utilisent abondamment des figures et même des stéréogrammes [21] pour représenter les espaces qu’ils considèrent – quel statut accorder à ces figures-espaces ? Ce qui précède doit être lu comme une invitation à poser ce genre de questions [22]

Notes

[1Hilbert D., Les fondements de la géométrie (1899), trad. fr. P. Rossier, Gabay, 2000.

[2] Le premier axiome stipule que deux points déterminent une droite, le second que l’on peut prolonger continûment en ligne droite une droite limitée donnée, le troisième que l’on peut construire un cercle lorsque l’on dispose de son rayon et son centre, le quatrième que tous les angles droits sont égaux entre eux. Le cinquième axiome a toujours eu un statut particulier : il s’agit de l’axiome des parallèles, qui revient à demander que, par un point extérieur à une droite donnée, il ne passe qu’une et qu’une seule parallèle à cette droite.

[3] Il en va notamment ainsi des propositions qui mettent en jeu des considérations tenant à la continuité, au déplacement ou encore à l’« ordre » (c’est-à-dire à ce qui est relatif, par exemple, à la distinction entre intérieur et extérieur d’une courbe close, ou à l’opposition entre demi-plan droit et gauche, etc.).

[4] La formulation des axiomes varie selon les éditions. Mais la division en cinq groupes reste constante : les 7 axiomes « d’appartenance » posent des conditions sur les relations d’incidence entre points, droites et plans ; les 5 axiomes d’ordre donnent un sens à l’expression « être entre deux points » et à la notion de demi-plan ; l’axiome des parallèles reprend le contenu du postulat d’Euclide ; les 5 postulats de congruence définissent l’égalité entre les segments et entre les aires ; enfin Hilbert ajoute deux axiomes de continuité.

[5]  Par souci de symétrie, on parle de « droite » sur un point comme on parlait de « point » sur une droite.

[6] Les nombres qui figurent dans la diagonale (qui va de gauche à droite en descendant) correspondent aux nombres de « points » et de « droites » de la configuration (4 « points » et 6 « droites ») ; les autres nombres indiquent le nombre de « points » situés sur chaque « droite » (2) et le nombre de « droites » rencontrant chaque « point » (3).

[7E. Steinitz, Über die Construction der Configurationen n3, (1894), Dissertation, Breslau.

[8] Dans toute cette section, je reprends les conclusions de l’article très éclairant de H. Gropp, « Configurations between geometry and combinatorics », Discrete Applied Mathematics, (2004), 138, pp. 79-88, auquel je renvoie le lecteur pour plus de précisions.

[9]  Th. Reye, Geometrie der Lage, (1867), C. Jümpler, Hannover, 2nd edition, 1876. La notion de configuration est historiquement liée au développement de la géométrie projective au XIXe siècle. Cela n’est pas surprenant, dans la mesure où la géométrie projective est progressivement devenue une théorie portant sur les relations d’intersection et d’appartenance (c’est-à-dire les relations d’incidence) entre les points, les droites et les plans dans l’espace. Mais ce n’est que relativement tardivement que, dans le contexte de ses recherches sur la théorie projective, Theodor Reye introduit cette première définition générale de la configuration.

[10Th. Reye, “Das Problem der Configurationen”, (1882), Acta Mathematica, 1, pp. 93–96.

[11S. Kantor, “Die Configurationen (3;3)10”, (1881) Sitzungsberichte der Akademie der Wissenschaften in Wien, 84, pp. 1291–1314.

[12V. Martinetti, “Sulle le configurazione piani 3”,3 (1887), Annali di Matematica Pura ed Applicata, 15, 1887, pp. 1-26.

[13H. Schröter, “Ueber die Bildungsweise und geometrische Construction der Configurationen”, (1889), Göttinger Nachrichten, pp.193–236. Pour de plus amples détails, voir Gropp 2004, 83-85.

[14] « Tactical Memoranda », American Journal of Mathematics, (1896), 18, pp.264-303. Moore explique que « sous le titre général de Tactical Memoranda », il « publiera une série d’articles concernant des sujets plus ou moins liés entre eux de Tactique ». Pour une définition de « tactique », Moore renvoie à Cayley (« On the Notion of Boundaries of Algebra », Quarterly Journal of Mathematics, 6, 1864, Collected Math. Papers, V). Un problème tactique est pour Cayley un problème de combinatoire.

[15] L’exemple est tiré de O. Veblen & J. W. YoungProjective Geometry, I, 1910, New York : Ginn and Company, pp. 38-40.

[16] Voir O., Veblen & J. W. YoungProjective Geometry, op. cit.… , pp.15-19.

[17] Lorsque sa dimension est supérieure ou égale à 3, un espace projectif peut toujours être défini à partir d’un espace vectoriel (le cas n=2 est rendu compliqué par l’existence de plans finis non arguésiens) – on peut donc alors associer à cet espace un corps, puisqu’un espace vectoriel se définit sur un corps. Veblen et Bussey explicitent ce point dans leur manuel de 1910 aussi bien que dans leur article de 1906. L’objet du §2 de « Finite Projective Geometries » est de montrer (en mettant de côté le cas des plans non arguésiens) qu’un espace projectif fini est associé à un corps fini, lequel a donc pour ordre un entier. L’ordre de l’espace projectif est alors l’ordre du corps sur lequel il est défini

[18E. H. Moore, “On the foundations of mathematics”, Bulletin of the American Mathematical Society, (1903), 9, pp. 402-424.

[19M. J. Scanlan, “Who were the American postulate theorists”, Journal of Symbolic Logic, (1991), 56, pp. 981-1002.

[20] J’ai discuté cette question dans « Pasch entre Klein et Peano : empirisme et idéalité en géométrie », Dialogue, (2005), 14, pp. 653-692.

[21B. Polster, A Geometrical Picture Book, Springer, 1998

[22] Je remercie chaleureusement Karine Chemla pour l’aide qu’elle m’a apportée dans la construction de cet article.

Source : http://images.math.cnrs.fr/Entre-figures-et-espaces-le-ca...